Matteo Gualandi, ou le plaisir de la composition

Les trois textes qui suivent qui suivent, accompagnent un nouveau programme de résidence créé à Marseille par la Fondation Meyer, à destination de créateurs développant une pratique d’écriture dans le domaine de la littérature, du cinéma, de la musique, de la danse... Trois résidents ont été sélectionnés en 2023, en partenariat avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, la CinéFabrique de Lyon et le festival Actoral de Marseille.

L’un des trois lauréats de la résidence marseillaise, le compositeur Matteo Gualandi a proposé d’écrire une œuvre pour ensemble, s’inscrivant dans la continuation de son cycle « Archéologie de la mémoire ». Elle sera donnée à l’Ircam en janvier 2024.

Lors de son audition pour intégrer l’orchestre de l’Academia Nazionale di Santa Cecilia de Rome, le futur compositeur qui a commencé la trompette à l’âge de 10 ans est tellement nerveux qu’il éclate en sanglots. On le rappelle et le rassure en disant : « On a vraiment besoin de cuivre dans l’orchestre. » Si la musique est aujourd’hui au cœur de la vie de Matteo Gualandi, elle n’a pas été comme chez nombre de musiciens un environnement où il a particulièrement baigné. Né à Rome en 1995, Matteo Gualandi appartient à une famille, « plutôt dans les arts visuels. » Son père est architecte, sa sœur aussi ; il s’était inscrit, dans les pas de son aînée, en architecture, mais s’est vite aperçu que cette discipline n’était pas pour lui. « Il y avait de la musique à la maison, se souvient-il, mais pas de classique. Mes parents écoutaient les Beatles ou la pop des années 1980, comme Talk Talk. »

S’il eut une révélation en découvrant Le sacre du printemps d’Igor Stravinsky, ou que Les planètes de Gustav Holst l’eût enivré plus jeune, il ne se met à écrire que lorsque ses copains forment un groupe de rock et chantent leurs propres morceaux. « Je m’étais dit que moi aussi, je pourrais composer. Et comme j’étais musicien d’orchestre j’ai fait de la musique orchestrale. » Son chemin vers la composition emprunte des voies hétérodoxes. Garçon de son époque et de sa génération, le jeune Matteo aimait les jeux vidéo et avoue que ces musiques accompagnant les games l’ont également marqué : « C’est très répétitif, « loopé » (en boucle), mais certaines ont des aspirations symphoniques, et toutes répondent à l’univers particulier du jeu. »

Après une formation « très académique » en Italie, et avoir tenté en vain le Conservatoire de Paris, il part à Genève étudier à la Haute École de Musique, où enseignent Michel Jarrell et Pascal Dusapin. Il y apprend à se défaire d’un certain carcan analytique et à se relier à cette partie plus sensible de lui-même. En 2020, il revient à Paris, obtient un master en composition mixte (instrumental et électronique) au Conservatoire nationale de musique et de danse de Paris et intègre l’Ircam.

L’énergie juvénile de ses premières années passées à Rome, dans le quartier Aurelio, cette extrême concentration d’enfant, que seuls permettent les enthousiasmes candides, ne l’ont pas quitté. De cette « enfance très heureuse mais traversée par des grands moments d’angoisse », il retient cette vibratile lumière parsemée de ténèbres qu’il traduit dans des compositions à la tension rigoureuse où s’éclosent toutefois des épiphanies mélodieuses. Dans Still Love Song (2018) [« Chanson d’amour immobile »], sa première œuvre de 7 minutes, pour saxophone et électronique, il a voulu « une obscurité qui s’ouvre sur un bref moment de lumière. » Et d’ajouter : « Une petite fenêtre, un petit bout de mélodie pour mon plaisir. » La joie de composer demeure ce qui doit, selon lui, motiver toute création.

Pour la résidence de la Fondation Meyer, il a choisi de travailler sur une composition qui sera jouée le 13 janvier 2024 à l’Ircam. Une œuvre intitulée « pour le moment » We Are Not the Waves [« Nous ne sommes pas les vagues »]. Elle s’inscrit dans la continuité d’un cycle Archeologia del ricordo [« Archéologie de la mémoire »] commencé en 2020, et dont le premier pan, autour de la survivance du passé, mêlait à la musique des vidéos extraites de souvenirs familiaux. We Are Not the Waves décline le thème de la nature. Waves est à entendre au sens large d’ « ondes », ce titre provisoire, qui porte l’intention de son auteur, est une antiphrase, car Matteo Gualandi a cette vision d’un monde fait d’ondes, à l’instar d’un Lucrèce concevant l’univers comme un agrégat d’atomes en perpétuel mouvement. Mais plus que le philosophe et poète épicurien, il cite comme source d’inspiration le maître zen vietnamien Thích Nhât Hanh, dont il est féru comme de la mystique rhénane. L’abstraction n’est chez lui jamais froide, Matteo Gualandi fait sienne une musique qui met en partition la dialectique entre le cérébral et l’émotif. L’esprit toujours traverse la matière du sensible.

Sean Rose